Aux termes d’un long arrêt particulièrement bien motivé, un conseil départemental a été condamné pour avoir vidé de sa substance le service dirigé par l’un de ses directeurs, à l’encontre duquel, le harcèlement moral a également été reconnu (CAA Nantes 1er juin 2021, CD Orne, n°2000304).

Ce directeur contestait d’abord les mesures prises par le conseil départemental qui l’avaient peu à peu amputé puis avaient totalement supprimé les moyens tant humains que matériels de sa fonction jusqu’à ce qu’il se retrouve seul agent du Département dans le service  qu’il ne dirigeait plus que pour lui-même.

La première question à trancher était donc de savoir si ces mesures étaient attaquables ou si elles ne constituaient que des mesures d’ordre intérieur.

En effet, on sait, comme le rappelle la Cour dans son arrêt que « les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu’elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable ».

En l’espèce, la cour a bien constaté que le directeur avait été privé toute responsabilité hiérarchique ainsi qu’une partie substantielle des attributions antérieurement dévolues au service qu’il dirigeait et prévues par sa fiche de poste.

Sur l’examen au fond de cette mesure, le conseil départemental avait tenté de se justifier en arguant  qu’une réorganisation du service était justifiée par la modification du rôle du département en matière économique des suites de la promulgation de la loi NOTRe et la fin progressive des subventions versées aux entreprises.

Mais la cour a bien relevé qu’il ne s’agissait là que d’un motif fallacieux, en relevant que « ces éléments, en admettant même qu’ils justifieraient la réduction tardive de l’effectif ainsi qu’une réorganisation du service et de ses missions que ne mentionnaient pourtant ni les objectifs fixés pour l’année à venir dans le compte rendu d’évaluation de M. C… signé le 22 février 2017 ni le courrier du 19 juillet 2017 adressé au préfet de l’Orne ni la présentation du budget du service pour 2018, ne permettent pas d’expliquer la décision de transfert, à missions constantes, vers un autre service au 1er janvier 2018 de l’unique agent salarié dans un contexte où les modalités de réorganisation d’Orne Développement n’était pas définies puisqu’il était demandé à son directeur de proposer des scenarii d’évolution pour le 15 février 2018 ».

La Cour a ainsi constaté que rien ne permettait d’établir que « l’intérêt du service nécessitait de modifier au 1er janvier 2018 l’organisation du service Orne Développement en faisant perdre à son directeur ses missions de management et la supervision d’une partie des missions opérationnelles de son service ou de maintenir cette organisation à la date du 16 mars 2018 à laquelle il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que la réflexion ait abouti sur un projet de réorganisation à mettre en place à un terme défini ».

Concernant le harcèlement moral, le directeur avait bien démontré que ses conditions de travail s’étaient fortement dégradées par la privation des moyens humains nécessaires à l’accomplissement de ses missions et de ses attributions de directeur, ne le laissant à la tête d’un service composé que de lui-même et qu’il avait subi des mesures vexatoires le privant de ses responsabilités, ces agissements générant un épisode de souffrance psychique aiguë nécessitant un traitement médicamenteux et un arrêt de travail.

Sur ce point, la cour a rappelé que la privation de moyens humains permettant l’accomplissement des missions du service et la perte de responsabilités d’encadrement ainsi que de nouvelles modalités d’encadrement hiérarchique particulièrement resserrées, sont susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Le département de l’Orne prétendait que la réorganisation du service s’imposait des suites de la loi NOTRe et de la redistribution des compétences en matière économique qu’elle impliquait et que son directeur ne témoignait pas d’une bonne volonté à faire des propositions d’évolution pertinentes pour son service.

Ces éléments n’ont pas convaincu la cour qui a considéré qu’ils ne permettaient pas  de démontrer que l’isolement du directeur, la privation de moyens humains et de responsabilité d’encadrement ainsi que la mise en place d’un contrôle quotidien de son activité étaient justifiées par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Compte tenu du caractère personnel et réitéré de ces agissements sur une courte période, excédant les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, la Cour a logiquement reconnu que le directeur devait être regardé comme établissant avoir été victime de harcèlement moral constitutif d’une faute commise par le département de l’Orne.

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