Le Conseil d’Etat, saisi par deux fois en référé, a validé l’interdiction du port de l’abaya et du qamis dans l’enceinte des établissements scolaires (CE 7 septembre 2023, n°487891, Association Action droits des musulmans et CE 25 septembre 2023, n°487896 et 487975, Association la voix lycéenne et autres).

Dans la mesure où il s’est prononcé sur l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans la première affaire et sur l’absence de doute sérieux sur la légalité de la décision dans la seconde affaire (et non sur la condition d’urgence), on ne peut que s’attendre à ce que la décision au fond à venir soit le rejet de la demande d’annulation de la décision du ministre de l’éducation nationale formulant cette interdiction.

S’agissant du contexte, rappelons que le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse avait, par note de service relative au respect des valeurs de la République publiée le 31 août 2023 au bulletin officiel de l’éducation nationale, interdit le port de l’abaya et du qamis dans l’enceinte des établissements scolaires publics.

L’association Action droits des musulmans avait alors saisi le juge des référés liberté en urgence tandis que l’association la Voix Lycéenne avait saisi le juge des référés suspension afin d’obtenir la suspension de cette interdiction.

Sur le fond, on rappellera que l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, issu de l’article 1er de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes, de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics dispose que :

 » Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève « .

Sur la base de ces dispositions, le Conseil d’Etat a motivé ses deux décisions de manière identique.

Il souligne d’abord que les élèves des écoles, des collèges et des lycées publics peuvent porter des signes religieux à condition que ces signes soient discrets.

Il rappelle qu’en revanche, sont interdits :

  • « les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse »,
  •  les signes ou tenues « dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ».

Dans ces deux affaires, le Conseil d’Etat s’est appuyé sur des éléments de fait, tels que la forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, des signalements d’atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues contraires à l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation.

Ces signalements sont effectivement passés de 617 au cours de l’année scolaire 2021-2022 à 1 984 pour l’année 2022-2023.

Lors des audiences de référé, il avait été mise en évidence que ces signalements concernaient majoritairement le port par des élèves de tenues de type abaya.

En audiences également, les représentants de l’administration avaient défini l’abaya comme « un vêtement féminin couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains » et le qamis comme son équivalent masculin.

L’administration avait soutenu que « le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse », le ministre relevant que « le port de ces vêtements s’accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d’un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux ».

C’est sur le fondement de cette argumentation que le Conseil d’Etat a considéré que le port de l’abaya « qui ne peu(t) être regardé comme étant discret,  constitue une manifestation ostensible de l’appartenance religieuse des élèves concernés méconnaissant l’interdiction posée par les dispositions de l’article L. 145-5-1 du code de l’éducation ».

Il a donc conclu que:

  • l’interdiction de porter une telle tenue ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination (dans la première affaire)
  • ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la note de service du 31 août 2023 les moyens soulevés par l’association tirés de: 1. de ce que le ministre aurait inexactement qualifié le port, en milieu scolaire, de ce type de vêtements, de manifestation ostensible de l’appartenance religieuse des élèves concernés; 2. de ce que le ministre aurait excédé l’étendue de sa compétence et méconnu les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation ainsi que celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat; 3. de ce que la mise en œuvre de la note de service attaquée, faute pour celle-ci de donner une définition précise des tenues vestimentaires en cause, serait de nature à conduire à un traitement discriminatoire entre les élèves concernés (seconde affaire).

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