La cour administrative d’appel de Bordeaux vient de rendre un arrêt intéressant à plusieurs titres en matière de harcèlement moral (CAA Bordeaux 2 mai 2023, n° 2102763).

Dans cette affaire, une adjointe principale d’administration de l’aviation civile avait à la fois déposé une plainte au pénal à l’encontre de sa cheffe de service et demandé, devant les juridictions administratives, une indemnisation pour des faits de harcèlement moral subis dans le cadre du travail.

En premier lieu, la Cour rappelle classiquement les règles en matière de charge de la preuve en la matière.

  • Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement.
  • Il incombe alors à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
  • Le juge apprécie au vu de ces éléments si les agissements de harcèlement sont ou non établis en tenant des comportements respectifs de l’administration et de l’agent.

Elle rappelle également bien entendu que :

  • pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. 
  • une fois l’existence d’un harcèlement moral établie, le comportement de l’agent ne peut influer sur  la réparation de son préjudice qui doit être intégralement réparé.

Plus intéressant, elle précise bien les conséquences du procès pénal sur le travail du juge administratif.

A cet égard, elle souligne que « l’autorité de chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s’impose aux juridictions administratives, s’attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif ».

En l’espèce, justement, un jugement pénal définitif avait déclaré la cheffe accusée de harcèlement coupable de harcèlement moral à l’encontre de trois agents de son service dont la requérante, qui dénonçait un « comportement inapproprié de cette dernière à son égard, un excès de formalisme concernant les autorisations de congés et les absences, le refus de lui faire bénéficier d’un bureau sécurisé avec coffre-fort, des ordres illégaux, des propos agressifs et incohérents, l’interdiction de quitter son poste pour prendre une boisson chaude ou de communiquer avec son collègue de bureau, des remarques désobligeantes, une attitude de dénigrement et un manque de respect envers elle, entraînant un climat délétère et de méfiance entre collègues, enfin, une notation subjective et une absence de promotion ».

Le juge administratif s’est largement appuyé sur les constations matérielles du juge pénal pour relever que, même si « certaines de ces allégations ne sont corroborées par aucun élément factuel » la cheffe de service avait tenu à l’encontre, en particulier, des agents dont elle n’était pas satisfaite, dont la requérante, des propos blessants, désobligeants, méprisants ou agressifs, le cas échéant assortis de cris et avait fait preuve à de multiples reprises d’un comportement autoritariste excédant ses prérogatives hiérarchiques.

La cour a considéré qu’en sens inverse, l’administration n’établissait pas que ces agissements seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement et a balayé les éléments rapportés par l’administration, soit la simple affirmation qu’une majorité des agents travaillant avec cette cheffe de service ou sous son autorité avaient «  témoigné de ses compétences, de son implication professionnelle ainsi que des bonnes relations qu’ils ont entretenues avec elle «  mais également les quatre témoignages d’agents du service qui faisait état des insuffisances professionnelles et du comportement inapproprié de la requérante vis-à-vis de ses collègues et de ses supérieurs hiérarchiques.

Selon la Cour, le harcèlement moral allégué était donc bien établi.

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