Dans un arrêt du 3 octobre 2018, le Conseil d’Etat a utilement rappelé l’office du juge administratif lorsque l’administration dissimule l’existence d’une décision qu’un justiciable souhaite attaquer (CE 3 octobre 2018, n°413989, SFOIP, au Lebon).

On sait que l’une des conditions de recevabilité d’un recours contre une décision administrative est la production de la décision attaquée sauf « en cas d’impossibilité justifiée ».

Dans ce dernier cas, le requérant doit apporter la preuve des diligences qu’il a accomplies en vain pour en obtenir la communication ».

Dans l’affaire soumise à l’examen du Conseil d’Etat, il était question pour la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF) de contester le régime des fouilles corporelles des détenus effectuées à l’issue des parloirs au centre pénitentiaire de Maubeuge.

L’association requérante, qui demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision définissant ce régime de fouilles a été invitée à produire la décision attaquée par le tribunal administratif.

Elle a alors saisi le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge d’une demande de communication des notes de service relatives aux fouilles à l’issue des parloirs ou de tout document ayant le même objet, comme le règlement intérieur de l’établissement.

Elle a réitéré cette demande à laquelle il n’a jamais été donné suite.

Parallèlement, la SFOIP a adressé à plusieurs détenus du centre pénitentiaire un questionnaire sur les fouilles pratiquées à l’issue des parloirs mais ces courriers ont été interceptés par le chef d’établissement au motif qu’ils  » pourraient amener une partie de la population pénale à s’opposer aux mesures de sécurité et de contrôle auxquelles elles sont soumises « .

L’association requérante n’a donc pas été en mesure de produire la décision attaquée.

Le ministre de la justice défendeur a donc conclu à l’irrecevabilité de la requête, en l’absence de production de la décision attaquée et d’élément permettant de démontrer son existence.

Le tribunal administratif de Lille a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice et rejeté la requête de la SFOIP comme irrecevable.

A l’appui de son appel, l’association a produit une note du chef d’établissement indiquant qu' » à compter du 6 janvier 2014, de nouvelles modalités de contrôle vont entrer en application à l’issue des parloirs « .

La cour administrative d’appel de Douai a tout de même rejeté l’appel au motif que la requérante n’établissait pas l’existence d’une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’Etat casse cet arrêt et souligne que l’association justifie avoir accompli toutes les diligences qu’elle pouvait effectuer afin de se procurer cette décision.

Il ajoute qu’en gardant le silence sur les demandes dont elle était saisie ou en interceptant les courriers adressés aux détenus, l’administration n’a pas mis l’association à même de satisfaire à l’exigence de production de la décision qu’elle attaquait.

Et plus intéressant encore, le Conseil d’Etat considère que, dans ces conditions, la Cour ne pouvait confirmé l’irrecevabilité des conclusions dont elle était saisie, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs du centre pénitentiaire ou, à défaut de l’existence d’une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en oeuvre sur les détenus.

Cet arrêt est exemplaire de la prise en compte du pouvoir inquisitorial du juge administratif français trop souvent méconnu.

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